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27 mai 2011 5 27 /05 /mai /2011 16:33

Alice

De Chambrier

(1861-1882), poétesse.

    

Ils s’aimeront ainsi jusqu’à la fin des temps,
Sans voir encor le jour de leur union poindre :
Elle ne peut quitter ses parvis éclatants,
Et lui dans l’infini ne saurait la rejoindre...

Extrait de Conte de fées
.

alice-de-chambrier.jpg

 

I


Moi qui, pour adorer plus belles que la mort,

N'ai pas trempé mes pieds dans les eaux de ce Gange ,

Ni dit une berceuse au petit qui s'endort

Plus douce que les mains assassines d'un ange,

 

Je parle : Fut le temps des vastes nébuleuses

Écloses dans le ciel vide et mordu des rats,

Le sang montait au crâne en lames globuleuses,

La joie exacerbait la fièvre des hourras.

 

Lyre, clavier, main... c'était de la musique

Qui pulsait violemment toute une exaltation

Dans les poitrines des hommes, c'était magique :

Le soir au belvédère, et l'imagination !

 

Aux lampes allumées le doseur et l'absinthe,

Le poète grisé tant par le podium

Duquel, pris de délire, il essouffle une plainte,

Que par la fumée lourde et pâle d'opium !

 

Donc, au refrain du cygne noir, où l'an s'achève

Entre deux doigts claqués tristement par la nuit

A peau de cauchemar brune et tachée de rêve

Qui sait trop bien que tout, vers l'Abîme, s'enfuit,

 

On reprisa des cols aériens de dentelle

Autour de gorges dont le souffle saccadé

D'amantes aux frous-frous poignants de jarretelle

S'évadait par la brèche en haut, pour décéder.

 

Une fleur à l'oreille on marchait sur le fleuve

Encore ondulé par l'aile des canotiers

Afin de retrouver une mer toujours neuve,

  Broyés sous les cinglants crépuscules côtiers...

 

alice_de_chambrier.jpg

 

II

 

Donc les larmes d'un saule ont heurté cette épaule

Hypnotique au regard coloré d'un œillet

En cet après midi de printemps sans parole

Plein de papillons bleus que l'air ensommeillait.

 

Son épaule effleurée on la voyait pensive ;

Déesse agenouillée, les mains tressant l'azur,

Apparue en ce temps de dieux, la plus furtive,

La plus adolescente au chagrin le plus pur.

.

Source de grands pardons piétinée et l'unique

Que j'aime pour toujours à m'y brûler les doigts,

Du berceau de satin jusqu'au dernier portique :

La suissesse aux yeux doux et qui portait la croix.

 

III


Alice ! Flamme blanche, adorable et discrète

A qui je dédis l'or volatile d'un vers

Après avoir pleuré dans la chambre secrète

Ton évaporation, un jour brisé d'hiver.

 

Toi qui fis naître au sein des fraîcheurs matinales

Sur ton beau front le feu d'un astre renaissant,

Mi-éveillée encore ; et les aubes banales

Le voyaient s'incliner d'être reconnaissant.

 

  Ah ! Splendeur anonyme ! Hallucination pieuse !

Toi qui faisais fleurir un invisible été

Sur les murs en sanglots des hospices, lieuse

De soleil à la chair ; paradis répété !

 

  Mille fois chaleureuse et lévitant, des songes

Gigantesques à l'âme entière ; du saphir

Dans les jardins du roi sur des parois que longent

Les jasmins écarlates à n'en plus finir !

 

Rêveuse de passage au rire si nature

Dont la robe animait d'incomparables plis

Quand tu passais par là, cachant dans ta coiffure

Des oiseaux inconnus ne poussant pas de cris.

 

Il faut te rendre hommage autant qu'il est possible !

Alors que tu mirais au lointain l'horizon

Déjà le sort levait, toujours plus irascible,

  Sur ton chemin de verre une ardente cloison.

 

Pourtant, grâce infinie, on te nomme : oubliée !

Le poème suintant la sève de l'amour,

Qui s'épanche goutte à goutte, multipliée ,

Afin de se confondre à la ferveur du jour 

 

C'est ta gloire absolue et je lui suis fidèle !

  Toi qui souris -je sais- dans l'oubli d'une tombe,

J'écris ton nom ainsi qu'en une heure immortelle

Un jeune homme amoureux libère une colombe.

 

 

 

Alice_de_Chambrier1.jpg

 

 

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